Comprendre le TCA grâce à la vision d’une psychologue

Comprendre le TCA grâce à la vision d’une psychologue spécialisée en accompagnement des troubles du comportement alimentaire.

Dans le cadre de son travail, elle a préféré rester anonyme.

La restriction et la compulsion sont les deux faces d’une même pièce

Qu’est ce qui vous a attiré dans le métier de psychologue ?

J’ai le souvenir de lire un livre parlant de l’inconscient sur les bancs du collège en 4ème. Cela m’avait fasciné, j’avais déjà l’intuition que nous étions tous uniques, influencés par des déterminants qui échappaient à notre conscience mais qui pouvaient mettre du sens sur beaucoup de nos comportements. Lire noir sur blanc que cela portait un nom, que cela avait été étudié, qu’il existait des métiers autour de ça à été le point de départ de ma vocation.

Pourquoi accompagner des personnes souffrant de TCA ? Avez-vous une expérience personnelle sur le sujet ? Si oui, souhaitez vous la partager ?

Je dirais que c’est à la fois ma pratique clinique et des éléments de ma vie personnelle. Il y a 20 ans sur les bancs de l’université, on parlait peu de TCA, et à l’époque, l’approche thérapeutique était d’orientation très analytique. On parlait de pulsions refoulées, on blâmait les mères et on mettait l’accent sur le problème de volonté. Cela me révoltait et je n’adhérais pas du tout à cette approche. J’ai commencé à m’affranchir de ces approches traditionnelles et à m’ouvrir aux thérapies brèves qui nous arrivaient des Etats-Unis mais étaient très peu enseignées à l’époque. Puis je crois que des éléments de ma vie personnelle m’ont conduite à développer une oreille plus sensible aux patientes souffrant de TCA, en prenant parfois appuis sur des choses que moi ou des amies avions traversé adolescentes et jeunes adultes. De fil en aiguille, je me suis intéressée aux travaux de Gerard Apfeldorfer* et Philippe Zermati qui m’ont inspirés et servis de cadre thérapeutique complémentaire aux autres outils auxquels j’étais déjà formée.

Quels types de TCA accompagnez-vous ? L’émergence des réseaux sociaux a fait naître de nouveaux types de TCA comme l’orthorexie par exemple, avez-vous constaté cette évolution ? À quel(s) type(s) de nouveaux TCA êtes-vous ou avez-vous été confrontée ?

J’accompagne essentiellement des patientes qui souffrent de boulimie ou d’anorexie-boulimie. Je suis aussi des patientes anorexiques mais moins. L’anorexie – dans les débuts de la maladie – donne l’impression d’être en parfait contrôle, ce qui est totalement l’inverse lorsque l’on vit des compulsions alimentaires, c’est ce qui explique en partie cette différence de demande en psychothérapie. De fait, je rencontre parfois des patientes anorexiques qui viennent me voir pour maintenir leur restriction alimentaire mais en se débarrassant des crises de boulimie. Dans ces cas la première intention est donc de maintenir le contrôle, et il y a un premier travail de psycho pédagogie pour faire comprendre que la restriction et la compulsion sont les deux faces d’une même pièce.

Gerard Apfeldorfer est membre de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive. Spécialiste des troubles du comportement alimentaire, il est l’auteur, aux Éditions Odile Jacob, de Maigrir c’est fou ! et des Relations durables.
** Le docteur Jean-Philippe Zermati est nutritionniste et psychothérapeute. Spécialiste du comportement alimentaire,

Je n’ai à ce jour pas connu de patiente qui consulte pour de l’orthorexie en première intention. En revanche j’observe chez beaucoup de patientes que l’injonction à « manger sain » ajoute des interdits alimentaires qui n’étaient là pas avant. Par exemple, non seulement il faut arrêter le sucre car trop calorique quand on est dans la restriction alimentaire, mais si on en prend, il faudrait que ce soit un « bon sucre ». C’est en partie vrai, mais l’intention (restrictive/permissive) est dans ce cas mal placée et renforce le TCA.
Le sport à outrance, longtemps considéré comme une « addiction positive », peut aussi s’ajouter comme stratégie de compensation dans les TCA. Il peut aussi être le point d’entrée dans un TCA, c’est le cas pour de nombreux athlètes par exemple.
Quel que soit le TCA, il est certain que les médias et les réseaux sociaux contribuent à renforcer l’obsessionnalité caractéristique du trouble, mais peuvent aussi permettre de le minorer en donnant accès à de l’information sur le trouble, sur les moyens de s’en sortir etc…le site de Justine en est un exemple!

Quels traits communs, s’il y en a, observez-vous chez vos patientes atteint(e)s de TCA ?

Je remarque 4 mécanismes communs : la restriction cognitive et alimentaire (liste de produits interdits, culpabilité en cas d’écart, croyances éronnées sur l’équilibre alimentaire et le poids idéal) qui est à la fois la cause et la conséquence d’une perte de flexibilité.
La difficulté à réguler ses émotions et celles d’autrui qui elle aussi est à la fois la cause et la conséquence d’un trouble du réconfort, c’est-à-dire la tendance à manger ses émotions pour les éviter à défaut de pouvoir les gérer de façon adaptée.
L’obsessionnalité qui empêche la patiente de se concentrer sur ce qui compte vraiment et sur ce qui est à l’origine profonde de son trouble.
Et enfin, un mécanisme que j’aime appeler le « foutu pour foutu », qui entretien la bascule entre la restriction et la compulsion : « quitte à faire un écart, autant tout abandonner et reprendre le régime lundi ».

À quel âge en moyenne les personnes viennent-elles consulter ? Depuis combien de temps sont-elles malades ?

Autour de 25/ 30 ans. Souvent les premiers signes du trouble apparaissent à l’adolescence, mais l’aggravation apparait lorsque les jeunes femmes font l’expérience de vivre seules, car il n’y à plus de limites imposées par le cadre de vie familiale. Le cercle vicieux se met en place et il devient difficile de conjuguer les débuts de vie de femme (étude, premier travail, vie de couple ou solitude) avec l’omniprésence du trouble devenu trop envahissant.

Selon vos observations, comment se déroule le processus de prise de conscience ? À quel moment (s’il y en a un) intervient-il dans la vie de la personne ?

Je dirais qu’il y a toute une phase ou le patient se sent encore en contrôle. On se promet et on arrive le plus souvent à mettre en place un régime restrictif. C’est la grande victoire. Puis lorsque des crises apparaissent ou réapparaissent, on entre dans une épreuve de force avec soi-même pour retrouver du contrôle et on glisse peu à peu dans le trouble. Le déclencheur est souvent le sentiment d’impuissance par rapport au trouble, qui peut se formuler sous forme de souffrance par rapport au poids qui ne fait qu’augmenter au fur et à mesure des régimes.

Quelle est la part d’hommes versus la part de femmes dans votre patientèle ? Pourquoi, selon vous ?

Essentiellement des femmes et très peu d’hommes. Historiquement, l’essentiel des injonctions à la minceur et à la beauté étaient concentrées sur les femmes. Physiologiquement aussi, notre corps subi des variations hormonales beaucoup plus fortes au cours des règles, de la maternité etc…ce qui nous met plus à risque de voir notre corps et notre humeur (donc nos émotions) varier.

Quel type de thérapie proposez-vous ? Quelles méthodes / outils utilisez-vous ?

J’ai une approche intégrative, c’est à dire que je propose plusieurs outils inspirés des thérapies brèves mais essentiellement des TCC dans des psychothérapies avant tout basées sur la parole, le travail des émotions et de l’enfance lorsque c’est nécessaire.
Je propose des exercices (observation de la faim, de la satiété, des envies, des émotions), des mises en situation (par exemple pour travailler la communication des émotions ou encore des exercices de dégustation en pleine conscience), beaucoup de psycho-pédagogie pour comprendre les mécanismes du trouble et s’en distancier.
L’idée générale est d’arriver peu à peu à retrouver une alimentation intuitive basée sur les signaux corporels naturels (faim, satiété) plutôt que sur des règles externes.

Combien de temps dure en moyenne une thérapie ?

Je dirais 1 an en moyenne. Cela peut être très rapide si le trouble est installé depuis peu, ou plus long s’il y a des co-morbiditées (obésité, troubles anxio-dépressifs, troubles de la personnalité…). En général les premiers changements apparaissent entre 10 et 20 séances mais il y a un temps de stabilisation qui est assez long où les séances peuvent être espacées.
Certains TCA sont-ils plus difficiles à guérir que d’autres ?

Oui s’il y a des co-morbiditées (obésité, troubles anxio-dépressifs, troubles de la personnalité…), ou des carences affectives importantes dans l’enfance, ou que des éléments de la vie du patient entretiennent le trouble (problèmes au travail, relations toxiques…).

Quand et comment peut-on se considérer guéri(e) selon vous ?

Grande question. Certains disent qu’on en guéri jamais vraiment, je pense que l’on peut en guérir complètement mais que cela fait toujours partie de l’histoire de la personne, un peu comme une vieille histoire qu’on aurait bien digéré mais qui nous aurait appris beaucoup de choses et aidé – paradoxalement – à grandir.

En TCC, on considère que 6 mois sans rechute sont déjà un bon signe de sortie du trouble. Ce qui n’est pas faux mais qui ne me semble pas tout à fait vrai non plus. Beaucoup de patiente ont déjà vécu des « phases de stabilité » où le trouble semblait absent, mais ça ne suffit pas à dire qu’on est totalement sorti du trouble. Cela peut-être une phase de vie qui masque le trouble, ce qui est souvent le cas dans les débuts de relation amoureuse par exemple.

Je dirais donc que si on a la sentiment d’avoir trouvé son équilibre, que ni les apéros ni les déclencheurs émotionnels habituels n’entraînent de crise ou de pulsion, qu’on est capable de satisfaire une envie alimentaire sans tomber dans le foutu pour foutu ni culpabiliser, qu’on peut passer sa soirée seule à côté d’un bol de chocolats, de bonbons ou de chips tranquillement et qu’on à une activité physique régulière et plaisante (sans intention de perdre du poids), qu’on à trouvé et accepté son poids d’équilibre pendant 1 an, et qu’on n’a plus peur de la rechute, alors on est guérie.

Que faire en cas de rechute ?

La rechute est une étape fondamentale de tout travail thérapeutique. Elle permet de consolider le travail car elle est riche en enseignements : pourquoi mon symptôme revient? Comment peut-on consolider les acquis thérapeutiques? … Si le patient panique en cas de rechute (ce qui est généralement le cas), alors il y a là une fenêtre d’opportunité pour (re-) travailler sur l’accueil des compulsions, c’est à dire ce qu’on se dit, ce qu’on ressent, la façon dont on va réagir face au ressenti. On devient son propre bon psy et c’est là que se profile le travail de stabilisation qui conduit à la fin de la thérapie.

Leave a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0

Télécharge ton guide gratuit pour te libérer des compulsions alimentaires